Elle avait senti sa présence bien avant qu'il n'atterrisse à ses côtés. Elle devinait ces ailes qui jadis s'élevaient dans son dos, d'un blanc immaculé. Un sourire était venu, malgré elle, faire s'étendre ses lèvres rougies, et elle s'était retournée, avec lenteur et grâce, quand ses prunelles brûlant d'un or chaud se glissaient sur le corps du divin être.
« Bonsoir. »Son sourire était gourmand, la lueur dans ses yeux, provocatrice. Elle ne se préoccupait plus de l'humain, devenant nerveux à ses côtés, à l'approche de l'être de lumière, grand et imposant, dont les prunelles claires pétillaient dans les ténèbres de la ruelle.
«
Ecarte-toi de lui.-
Ecartez-vous d'elle. »
Leurs paroles avaient résonné en coeur, et elle n'avait pu que rire, un rire retentissant dans la nuit. L'humain avait froncé les sourcils, inquiété par la démence semblant l'habiter, et par le conseil de l'inconnu. Etait-il tombé sur une tueuse en série ? Cela existait-il seulement ? Il n'avait pas souvent entendu parler de femmes capables et coupables de tels actes.
« Tu es jeune, n'est-ce pas ? »Son sourire s'était figé et, sérieuse, elle sondait le gamin qui se présentait à elle. Vingt ans de mort, tout au plus. Il n'était pas capable de dire qui elle était. A ses côtés, le jeune homme craignait perdre les pédales, la situation lui paraissait étrange, c'était le cas de le dire, et peu rassurante.
« Et vous veillerez sur vos fils, prenant garde à ce qu'ils ne flirtent avec la lune, car dès le coucher du soleil, Lilith viendra les cueillir, et sèmera en leur coeur la débauche, de laquelle jamais ils ne pourront se défaire. Tu connais les textes. »L'ange semblait enfin comprendre, et elle crût lire dans le bleu de ses yeux un peu d'effroi. Mais son calme reprit vite le dessus, elle les trouvait insupportables, toujours à refouler leur colère, et la moindre de leurs émotions, si dévoués à la cause de leur Maître qu'ils en oubliaient de penser. Caïus, qui dans son ennui avait souhaité créer un monde et en fixer les règles, qui se battait pour ne pas le voir perverti, tout ça parce qu'il ne supportait pas perdre. Son géniteur et ennemi, elle le maudissait de tout son être, pour les malédictions qu'il lui avait offert.
Lilith posa ses longs doigts fins sur le coup de l'humain. En un quart de seconde, l'ange, agile, avait attrapé son poignet. Elle avait ri, et sa main s'était abattue en une gifle sur sa joue, subissant sa chute quelques mètres plus loin, alors que le craquement de sa nuque se faisait entendre. Ce seul contact avait suffi à imposer les fantômes du passé de celui qui se prenait pour un sauveur à son esprit. Elle s'approcha de lui sous la forme de celle qu'il avait jadis aimé, moqueuse.
« De toute manière, tu ne pouvais déjà plus rien en tirer. »Sa main s'était saisie du col de l'enfant de Dieu, et elle l'avait aidé à se relever, le maintenant toujours avec fermeté.
« Mais tu m'as obligé à tuer mon jouet. »Ses ongles s'étaient plantés dans la joue pâle de sa nouvelle victime, et le sang avait perlé contre celle-ci, petit à petit. Elle y dessinait une balafre, ligne courbée, déchirant sa chair. Ses lèvres s'étaient approchées de sa peau, sa langue avait goûté à son sang, avant qu'elle ne soit éjectée plus loin, l'ange se défendant.
« Il a de l'espoir... C'est mignon. »Lilith prit alors la forme de sa soeur malade, le narguant. Elle s'approcha à nouveau de lui, languissante, son regard ne le lâchant pas.
« Tu m'as l'air un peu trop frustré, chéri, le voeu de chasteté te causerait-il des torts ? »Elle était arrivée tout près, et sa main courait sur son torse. S'il avait été humain, elle aurait pu sentir ses membres trembler sous ses mains baladeuses, mais là, il n'en était rien. Voilà qui était dommage, elle qui trouvait plaisir à persécuter et semer l'effroi dans le coeur de ses proies. Mais les leurs à vrai dire ne battaient plus, condamnés à demeurer silencieux quand la mort était venue les chercher, ou dans son cas, quand elle était allée chercher la mort.
«
Tu es folle à lier.-
C'est vrai. »
Son sourire s'était fait plus large encore qu'au début de leur entrevue. Doucement, elle avait fait glisser le couteau de sa manche, remontant sa robe simultanément afin qu'il ne perçoive pas le premier bruissement. Et elle l'avait planté là, au creux de son dos, dans une étreinte doucereuse. Que Caïus vienne se plaindre lui-même, si cela lui posait problème.
I was the first woman in this world.
Je naquis de l'argile, statue de terre à laquelle on insuffla la vie. Des formes voluptueuses, un air angélique, le Créateur aimait ce qui était lisse et blanc. Des cheveux châtains, tendant sur le blond des champs, et des yeux jadis bleus, dont la teinte dorée d'aujourd'hui trahit mon appartenance à une toute autre race que celle des humains. En dehors d'une apparence tentatrice, pour celui connaissant le désir, il m'offrit le don de grande intelligence et ainsi, sitôt mes paupières ouvertes sur le monde, les questions qui se bousculaient dans ma tête trouvaient à l'aide d'une implacable logique une réponse pertinente. Je courais dans ce délicieux jardin que l'on mettait à ma disposition, terrain de mes jeux épuisants que je recommençais perpétuellement. J'admirais, l'oeil observateur porté sur tout ce qui m'entourait : végétation, animaux s'approchant docilement, et Adam, bien entendu. Il avait été créé en même temps que moi, avait été paré de tous les charmes. L'un comme l'autre, nous étions faits pour être parfaits, voguant entre les arbres en attendant que les années passent. Mais alors que l'automne approchait, marquant des saisons qui n'existaient pas pour nous, notre visage ne se flétrissant jamais car l'éternité nous attendait, ma curiosité grimpait, mes questions augmentaient, plus vivaces, et mes pensées tourbillonnaient dans ce crâne me paraissant soudain trop étroit. Je ressentais un vide en mon être, avait l'impression d'avoir déjà tout vu, et la nature superbe sous mes yeux semblaient se faner, l'herbe sous mes pas s'assécher, quand mon regard, se faisant critique, se posait sur ce qui m'entourait. Je mis un certain temps, l'esprit lessivé par les conseils du Très Haut, à comprendre ce qui m'arrivait, à voir clair au milieu de la brume ayant envahi mes pensées. Quand je compris que ce qui se trouvait autour de moi ne me convenait pas, que la lassitude et l'ennui commençaient à faire irruption dans ma vie, laissant le quotidien et la routine y faire leur logis, mon coeur battit comme jamais contre ma poitrine, mes yeux parurent s'ouvrir, et tout trouva en ma tête un enchaînement dont l'ordre m'apparaissait stupéfiant.
Je commençais alors à tout remettre en cause, à commencer par le conjoint que l'on m'avait offert. Cet être irréfléchi, trop raisonnable, terne, dont l'audace était réduite à néant, trop prudent, trop sage. Il semblait à peine parcouru par le moindre sentiment, comme si jamais la colère ne le gagnait, que jamais l'envie ne le prenait. Voilà qui était un bien grand mot, car quand cela lui arrivait, c'était à mes dépens. Nos premières disputes furent sans aucun doute à ce propos. La première fût sur le point d'honneur que je mettais à conserver mon corps intact, refusant encore et encore la venue d'un enfant, d'un de nos descendants au milieu de ce jardin enchanteur. J'y avais trouvé les plantes m'évitant une grossesse, et pour ma défense je lui répondais, à lui si fervent, que si Dieu son Créateur les y avait placé, cela ne devait pas être pour rien. Ce à quoi suivait son silence, plombant, et je lisais dans ce regard cette étincelle du feu coléreux, que j'espérais voir flamber, sans que cela ne vint. Ses reproches se firent plus harassants, tombant sur moi à propos de tout et rien. Adam refusait mes idées de liberté et d'égalité, fervent défenseur de la cause des hommes. Moi qui me rebellais, défendait mes idées et était capable d'avoir une discussion construite, voire même plus poussée que celle qu'il pouvait avoir à m'offrir, il me souhaitait plus docile et plus stupide. Il manquait d'originalité, se plongeait dans la banalité, et les plaisirs que je recherchais à ses côtés, je finis par ne plus les trouver, tant l'acte était identique au précédent. Alors je décidais de protester, de crainte de poursuivre mes jours dotée d'une insupportable frigidité. Je refusais sa position avilissante conduisant sur moi l'opprobre, réclamant notre parité.
Tu ne te cocheras plus sur moi qu'alors que je l'aurai moi-même fait. Bien entendu, il s'entêta, borné comme il se trouvait être, et nos désaccords se multiplièrent. Il s'estimait seul maître du couple que nous formions, auquel je décidais enfin de mettre un terme.
Mes hurlements de désespoir, un soir, finirent par alerter le Seigneur de cet Univers, et la chair de mon dos se déchira, faisant apparaître des ailes. Doucement je rejoignais le ciel, où je goûtais aux nuages, au vent et à l'air frais. J'allais ombrer la lune, dansais au milieu des nuages, me laissais glisser dans les tempêtes. J'y rencontrais des anges, déchus de leur statut, qui ne virent rien à redire à ce que mon mari estimait être des fantaisies. Dans les bras de ceux-ci, au creux de la nuit, portés par les bourrasques, se créaient nos orgies, et mes cris dans la nuit venaient hanter ses rêves hagards. Mais Adam ne su pas se passer de moi bien longtemps, et bientôt ses plaintes parvinrent à Caïus, si suppliantes que celui-ci envoya trois de ses sbires à ma recherche. Ils me trouvèrent sur le bord de la Mer Rouge, dans laquelle mes pieds trempaient, se régalant de l'eau, s'enfouissant dans le sable chaud. Ils cherchèrent à me faire revenir, mais leurs litanies ne m'atteignirent pas, je refusais à mon tour avec obstinence de rejoindre celui qui m'avait réduite au rang d'esclave charnelle. Au sommet de la falaise, ils m'annoncèrent donc la sentence divine : j'étais condamnée à enfanter à tout jamais, et cent de mes enfants périraient à chaque journée écoulée. C'est alors que je me jetais du haut de cette pierre, laissant mon âme se perdre au gré des flots déchaînés.
I joined the devil in the nightmares's heart.